Les successions constituent bien souvent l’occasion pour les familles de remettre en cause des cold cases, à savoir des cadeaux ou avantages réalisés du vivant du défunt, sur lesquels les héritiers non avantagés n’avaient alors pas leur mot à dire.
Cette remise en cause s’opère par le mécanisme des rapports à succession qui sont dus par les héritiers ayant été gratifiés du vivant du défunt.
Si la chose est claire et simple en présence de donations directes, elle est bien plus compliquée lorsqu’il s’agit de donations indirectes (ou déguisées).
Dans cet arrêt, il était remis en question l’occupation à bas prix d’un bien immobilier dont avait bénéficié un héritier pendant de nombreuses années.
Ses cohéritiers soutenaient qu’entre 2003 et 2015, cet hériter avait bénéfice d’une donation indirecte en occupant ce bien immobilier à un loyer inférieur au prix du marché.
La cour d’appel avait validé ce raisonnement et avait condamné l’héritier ainsi avantagé à rapporter à la succession une somme de 182.939,64 €.
La Cour de cassation casse partiellement l'arrêt de la cour d'appel, estimant que celle-ci a violé l'article 843 du Code civil, en rappelant que pour établir une libéralité, sujette à rapport, il convient de caractériser non seulement l’existence d’un appauvrissement du défunt, mais également son intention libérale avérée, c'est-à-dire la volonté de gratifier l'héritier.
La Cour de cassation critique l'approche de la cour d'appel qui avait fondé son raisonnement uniquement sur l'appauvrissement du défunt, résultant de la mise à disposition d’un appartement à un loyer inférieur au marché. Or, pour qu’un avantage consenti à un héritier soit qualifié de donation indirecte et donc rapportable à la succession, il est impératif de démontrer l’intention de gratifier, ce que la cour d'appel n’avait pas suffisamment établi.
L’une des contributions importantes de cet arrêt est de rappeler la distinction entre l'appauvrissement du disposant et l'intention libérale. En effet, un appauvrissement seul ne suffit pas à caractériser une donation, et donc une libéralité rapportable. Il faut prouver que le défunt avait l’intention de gratifier un héritier. La Cour rejette ici l'idée que l'appauvrissement puisse être automatiquement associé à une libéralité, même en présence d'un avantage financier non négligeable.
Cet arrêt a des conséquences pratiques importantes pour le règlement des successions :
- Il renforce la protection des héritiers en exigeant une preuve claire de l'intention de gratifier pour toute libéralité rapportable à la succession. Ainsi, un héritier ne pourra être tenu de rapporter un avantage dont il a bénéficié que si cette volonté est prouvée.
- Il impose aux juridictions de justifier précisément leurs décisions concernant la qualification d’une donation indirecte. Une simple présomption d'intention libérale tirée de l'appauvrissement ne suffit pas.
Cela renforce également la nécessité, pour les héritiers, le notaire chargé de la succession, ou les avocats de produire des éléments concrets attestant l'intention du défunt de gratifier un héritier (correspondances, conventions, etc.).
Cet arrêt contribue également à une réflexion plus large sur la notion de donation indirecte, laquelle implique qu’un avantage soit consenti de manière dissimulée. Ici, l’usage de l’appartement à un loyer inférieur au prix du marché pourrait sembler constituer une libéralité. Toutefois, la Cour exige une preuve supplémentaire de l'intention libérale. Cela signifie que, dans des situations similaires, un avantage financier ne sera pas toujours rapportable s’il n’y a pas une volonté claire et manifestée de la part du défunt.
Auteur : Paul BLEIN
Dans cette affaire, le père danois, M. [F], demande le retour de son fils au Danemark après que la mère ukrainienne, Mme [B], a déplacé l’enfant, dont il convient de préciser qu’il avait toujours vécu en Ukraine et jamais au Danemark, en France sans en informer le père.
L’apport principal de cet arrêt tient à la manière dont la Cour de cassation répond à une question d’importance : vers quel état le retour de l’enfant peut-il/doit-il être ordonné ?
En effet, on pourrait penser que par le terme « retour de l’enfant », il doive impérativement être envisagé que l’enfant ne puisse être déplacé à nouveau que vers l’Etat dans lequel il avait, jusqu’au déplacement illicite, sa résidence habituelle.
La Cour de préciser cette question de manière claire :
« La Convention [de La Haye du 25 octobre 1980] ne précise pas l'État à destination duquel le retour de l'enfant doit être ordonné.
Son préambule énonce que l'objet de la Convention est d'établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle.
Il ressort du rapport explicatif de la Convention que celle-ci tend, en considération primordiale de l'intérêt supérieur de l'enfant, au rétablissement de la situation antérieure, en ramenant l'enfant dans la zone d'influence des juridictions de sa résidence habituelle initiale, lesquelles ont, en cas de déplacement ou de non-retour illicite, vocation à conserver leur compétence pour statuer sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale.
Le principe est donc le retour de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle immédiatement avant le déplacement ou le non-retour illicite.
Toutefois, il ressort du même rapport que le silence de la Convention sur la désignation de l'Etat de retour résulte du souhait des négociateurs d'en éviter une application inutilement rigide, l'essentiel étant de protéger le droit des enfants à ne pas être écarté d'un certain milieu qui, parfois, sera fondamentalement familial, et de permettre ainsi aux autorités de l'État de refuge, lorsque le demandeur n'habite plus l'État de la résidence habituelle antérieure au déplacement, de lui renvoyer directement l'enfant sans égard au lieu de sa résidence actuelle.
Une telle interprétation est de nature à préserver, dans l'intérêt de l'enfant, les objectifs de protection de ses liens avec ses deux parents et de prévention des déplacements ou non-retours illicites, y compris dans des situations où aucun des parents n'habite plus dans l'État de la résidence habituelle initiale.
Il s'en déduit que le retour de l'enfant peut être demandé vers un État autre que celui dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicite, mais à titre exceptionnel.
Dans l'intérêt supérieur de l'enfant, un tel retour ne peut être ordonné que s'il permet de replacer l'enfant dans un environnement qui lui est familier et, ce faisant, de restaurer une certaine continuité de ses conditions d'existence et de développement. »
La Cour de cassation de valider très clairement la possibilité d’ordonner le retour de l’enfant dans un pays autre que celui où l’enfant avait sa résidence habituelle avant le déplacement illicite.
Si en l’espèce la Cour de cassation valide le raisonnement des Conseillers de la Cour d’appel de ne pas avoir ordonné le retour de l’enfant au Danemark, l’enfant n’y ayant jamais vécu et étant visiblement bien intégré dans son nouvel environnement auprès de sa mère avec laquelle il avait toujours vécu, c’est au regard de l’intérêt de l’enfant qui doit en tout état de cause prévaloir dans l’application de la convention de La Haye du 25 octobre 1980.
Auteur : Paul BLEIN
Créée par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010, l’ordonnance de protection est un outil majeur à la disposition des Juges aux affaires familiales pour lutter efficacement contre les violences intrafamiliales et protéger les victimes.
On ne peut que saluer son appropriation croissante et son renforcement au fur et à mesure des années pour offrir une meilleure protection immédiate des victimes.
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 23 mai 2024 s’inscrit dans ce renforcement et vient apporter une précision utile quant à l’aménagement des droits parentaux suite à la délivrance d’une telle ordonnance.
En l’espèce, une femme a saisi le Juge aux affaires familiales d’une demande d’ordonnance de protection à l’encontre de son conjoint, prétendument violent.
Le Juge aux affaires familiales a fait droit à cette demande, estimant que les deux conditions cumulatives de l’article 515-11 du Code civil étaient remplies, à savoir :
- La commission vraisemblable de faits de violence ;
- L’existence d’un danger actuel et probable pour la victime et/ou les enfants.
En conséquence, le Juge aux affaires familiales a fait interdiction au défendeur, non seulement d’entrer en contact avec la demanderesse, mais a également élargi cette interdiction de contact à l’enfant commun autrement qu’à l’occasion du droit de visite qui lui a été accordé.
Le Juge a en effet estimé que la protection de l’intégrité de la demanderesse justifiait l’élargissement de l’interdiction de contact à l’enfant commun.
Le défendeur relevait appel de ce jugement en ce qu’il ne justifie pas d’un quelconque danger propre à fonder l’interdiction de contact avec son enfant. La Cour d’appel confirmait cependant la décision de première instance.
Le défendeur formait un pourvoi en Cassation et arguait que l’ordonnance de protection visait à protéger la demanderesse et que l’existence d’un danger pour l’enfant n’était pas caractérisée. Qu’ainsi, rien ne justifiait une restriction si drastique de ses droits parentaux.
La Cour de cassation a pour autant confirmé l’arrêt de la Cour d’appel.
Elle adopte ainsi une position très claire : dès lors que les violences alléguées sont vraisemblables, tout comme le danger auquel est exposé la demanderesse, les juges du fond sont parfaitement fondés à élargir l’interdiction de contact aux enfants communs, sans pour autant se prononcer sur l’existence d’un danger encouru par ceux-ci.
Ainsi, la Cour de cassation vient renforcer la jurisprudence antérieure en précisant que le Juge aux affaires familiales peut, à la faveur de la délivrance d’une ordonnance de protection, restreindre les droits parentaux sans motivation particulière quant à l’existence d’un danger pour les enfants.
Cet arrêt s’inscrit dans une volonté accrue de protection des victimes de violences intra-familiales.
Non seulement, la restriction des droits parentaux dans le cadre d’une ordonnance de protection s’entend parfaitement pour la protection directe de la victime en ce qu’elle diminue les interactions entre les parents et donc les occasions de confrontation entre victime et agresseur.
Il n’est en effet pas rare, dans un contexte de violences intrafamiliales, que les enfants deviennent un moyen de pression à disposition de l’agresseur pour forcer le contact avec la victime.
En outre, il ne faut pas négliger le fait qu’un épisode de violence conjugale fait craindre une répétition de ces violences sur le ou les enfants du couple. Il convient donc de les en protéger.
La Cour de cassation a ainsi tranché, sans surprise, en faveur des victimes de violences intrafamiliales et a également rappelé le pouvoir souverain des juges du fond pour prendre les mesures adaptées à chaque cas d’espèce dans le cadre de la délivrance d’une ordonnance de protection.
L’on sait désormais que ces mesures peuvent inclure une restriction des droits parentaux, sans qu’il y ait la nécessité de constater un danger pour le/les enfant(s) commun(s).
Auteur : Roxane VEYRE
Créée par la loi n°2010-769 du 9 juillet 2010, l’ordonnance de protection est un outil majeur à la disposition des Juges aux affaires familiales pour lutter efficacement contre les violences intrafamiliales et protéger les victimes.
On ne peut que saluer son appropriation croissante et son renforcement au fur et à mesure des années pour offrir une meilleure protection immédiate des victimes.
Néanmoins, force est de constater que moins de 6.000 demandes ont été formulées en 2022, alors même que plus de 244.000 victimes ont été dénombrées (soit 15% de plus qu’en 2021).
La loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 vient renforcer le dispositif de l’ordonnance de protection et créer une ordonnance de protection provisoire, toujours dans une volonté accrue de protection des victimes, très majoritairement de sexe féminin.
I. Le renforcement de l’ordonnance de protection
Pour rappel, l’ordonnance de protection permet au Juge aux affaires familiales de protéger une victime vraisemblable de violences intrafamiliales tout en statuant sur les mesures relatives aux enfants et au logement.
Elle est prononcée dans un délai maximal de 6 jours à compter de la saisine de la juridiction. Deux conditions cumulatives sont nécessaires pour l’octroi d’une telle ordonnance (Article 515-11 du Code civil) :
- La commission vraisemblable de faits de violence ;
- L’existence d’un danger actuel et probable pour la victime et/ou les enfants.
Le texte de la loi du 13 juin 2024 vient renforcer le mécanisme de l’ordonnance de protection sur 4 points :
- En portant de 6 à 12 mois la durée de l’ordonnance de protection ;
- En rappelant qu’une ordonnance de protection peut être délivrée même en l’absence de cohabitation du couple ;
- En masquant l’adresse de la victime sur les listes électorales (jusqu’alors accessible à toute personne demandant ces listes) ;
- En accordant à la victime la garde des animaux de compagnie du foyer ; les animaux pouvant être un moyen de pression et de chantage.
II. La création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate
La loi du 13 juin 2024 créé également une ordonnance provisoire de protection immédiate qui a vocation à protéger les personnes en danger durant le laps de temps de 6 jours qui court entre la saisine du Juge et le rendu effectif de l’ordonnance de protection.
Cette ordonnance sera délivrée sous 24 heures en cas de danger grave et imminent. Le Juge aux affaires familiales pourra prendre les mesures provisoires suivantes, dans l’attente de la délivrance de l’ordonnance de protection :
- Interdiction de contact ou de paraitre dans certains lieux ;
- Suspension du droit de visite et d’hébergement sur les enfants ;
- Interdiction de port d’arme ;
- Autorisation de la victime à dissimuler son adresse.
Le Procureur de la République pourra également octroyer à la victime un téléphone grave danger (TDG).
Ainsi, la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 s’inscrit dans une volonté sans cesse renforcée de protéger les victimes de violences intrafamiliales.
Auteur : Roxane VEYRE
L'arrêt rendu le 2 mai 2024 par la première chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n°22-15.238) traite de la question complexe de la reprise de biens propres lors de la dissolution d'un régime matrimonial.
Dans cette affaire, l’épouse réclamait la reprise d'une somme qu'elle avait reçue par donation, soutenant qu'il s'agissait de biens propres.
La Cour de cassation a partiellement cassé l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, estimant que cette dernière n'avait pas vérifié si les sommes réclamées existaient toujours et restaient des biens propres au moment de la dissolution de la communauté, condition indispensable pour leur reprise.
La demande de l’épouse était fondée sur l'article 1467 du code civil, qui permet à un époux de récupérer ses biens propres lors de la dissolution de la communauté, à condition que ces biens existent encore en nature ou qu'ils aient été subrogés.
La cour d'appel de Bordeaux avait initialement accordé la reprise de ces biens sans vérifier leur existence continue, ce qui constitue une erreur selon la Cour de cassation. La décision de la Cour de cassation souligne l'importance cruciale de prouver l'existence et la nature propre des biens pour pouvoir prétendre à leur reprise.
Cette décision apporte une clarification importante concernant l'application de l'article 1467 du code civil. Elle rappelle aux juridictions l'obligation de vérifier l'existence actuelle des biens propres avant de statuer sur leur reprise.
En effet, pour qu'un bien soit qualifié de propre et récupérable lors de la dissolution de la communauté, il doit non seulement avoir été acquis à titre gratuit (par donation, succession, etc.), mais aussi exister encore en nature ou avoir été subrogé de manière identifiable.
Il s’agit là d’une double condition cumulative.
Pour les praticiens du droit, cet arrêt souligne la nécessité d'une rigoureuse vérification des pièces du dossier. Les avocats doivent s'assurer que leurs clients peuvent prouver non seulement l'origine propre des biens, mais aussi leur existence continue ou leur subrogation.
Cela implique de conserver des preuves solides, telles que des relevés bancaires, des actes notariés, et toute autre preuve de la chaîne de propriété des biens concernés.
Au cas d’espèce, l’épouse aurait sûrement dû tenter d'obtenir gain de cause par le mécanisme des récompenses et notamment celui de l’article 1433 du Code civil.
Il lui aurait alors suffit de prouver le bénéfice tiré par la communauté des fonds propres dont elle avait disposé au cours de l’union.
Auteur : Paul BLEIN
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- Quelle est l’étendue de l’obligation pour les enfants d’aider un parent sans ressources ? Dans quelles conditions un enfant peut-il s’en soustraire ?
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