Droit des sociétés

Opposition irrégulière à injonction de payer : le délai d’opposition d’un mois est interrompu

Aux termes d’un arrêt du 18 janvier 2024 publié au bulletin, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n°21-23.033) consacre le fait que l’opposition à une ordonnance portant injonction de payer est un acte qui saisit le Tribunal. De ce fait, s’il est entaché d’un vice de procédure, ce vice peut être régularisé jusqu’à ce que le Juge statue (article 121 CPC).

Plus factuellement, dans cet arrêt, une personne autre que le représentant légal de la société débitrice avait formé opposition pour le compte de cette dernière.

La Cour d’appel de Pau a déclaré cette opposition irrecevable en dépit de la production en cours d’instance d’un pouvoir spécial établi par la gérante de la société à une date antérieure à l’opposition litigieuse et du fait que la personne ayant formé l’opposition avait acquis dans l’intervalle la qualité de représentant légal de la société.

La Cour d’appel, s’appuyant sur le seul pouvoir spécial, a considéré que n’était pas démontrée sa date certaine.

C’est cette motivation que casse la Cour de cassation, affirmant désormais que la régularisation était possible jusqu’à ce que le Juge statue.

Elle revient ainsi sur la jurisprudence qu’elle appliquait auparavant (Cass. 2e civ., 18 nov. 1987, n° 86-14.) aux termes de laquelle elle exigeait que la régularisation intervienne dans le délai de l’opposition.

La Cour de Cassation continue ainsi son travail d’assouplissement des règles de saisine des Tribunaux dans une matière où il est fréquent que les débiteurs forment opposition sans passer par un avocat.

Elle poursuit ses efforts pour se conformer aux exigences européennes d’accès à la Justice.

Auteur : Julie Jacquot

Bail commercial, liquidation judiciaire et cession de fonds de commerce

La renonciation du bailleur à sa déclaration de loyers vaut renonciation à poursuivre la résiliation du bail pour non-paiement de ces loyers

 

A la lecture de cet arrêt, non publié, de la Cour de Cassation du 5 octobre 2022 (pourvoi n° 21-11.759), il paraît évident qu’un bailleur qui a déclaré entre les mains du mandataire judiciaire sa créance de loyer puis y a renoncé, a nécessairement renoncé à demander la résiliation du bail pour non-paiement desdits loyers.

Pourtant, les héritiers de ce bailleur qui poursuivaient la résiliation du bail, avaient obtenu gain de cause auprès de la Cour d’appel de renvoi (après une première cassation), celle-ci ayant considéré que le bailleur n’avait pas renoncé à la requête qu’il avait déposée auprès du Juge-commissaire aux fins de constatation de la résiliation du bail de plein droit.

Dans cette espèce, après avoir déclaré sa créance et demandé l’acquisition de la clause résolutoire, le bailleur avait participé à l’acte de cession orchestré par le liquidateur judiciaire pour renoncer aux loyers déclarés, aux commandements de payer visant la clause résolutoire ainsi qu’à engager la responsabilité du liquidateur au titre des loyers solidaires non payés.

L’acte de cession ne visait pas expressément la renonciation à la requête en résiliation de bail.

Au visa de l’article 1103 du code civil selon lequel « la renonciation à un droit peut être tacite et résulter d'un comportement du créancier qui est, sans équivoque, incompatible avec le maintien de ce droit », la Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel et, sans renvoyer, déclare les héritiers du bailleur irrecevables à demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail.

Une fois n’est pas coutume, le bon sens vient réparer une erreur de plume via l’interprétation d’une attitude non équivoque.

 

 

Auteur : Julie Jacquot

Le mandataire Ad Hoc n'est pas l'administrateur provisoire

(Cassation ch. commerciale, arrêt du 21 septembre 2022, pourvoi n° 20-21416, publié au bulletin)

Pour solliciter en référé la désignation d’un mandataire ad hoc, il suffit de prouver soit le trouble manifestement illicite, soit le dommage imminent (art. 873 CPC).

Il n’y a pas lieu à démontrer une entrave au bon fonctionnement de la société et la menace d’un péril imminent. En effet, ces deux dernières conditions sont celles exigées pour la désignation d’un administrateur provisoire.

La Cour de Cassation veille ainsi à la distinction entre ces deux fonctions :

-       le mandataire ad hoc a des missions spécifiques/ponctuelles, ce qui justifie une souplesse dans sa désignation ;

-       l’administrateur ad hoc a vocation quant à lui à diriger pleinement la société, ce qui justifie la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent.

Dans cette espèce, le gérant associé minoritaire d’une société U-Web sollicitait la désignation d’un mandataire ad hoc non seulement pour représenter l’associé majoritaire avec lequel il était en conflit dans le cadre des décisions à voter en assemblée générale, mais également pour représenter la société U-Web. 

Anticipant son évincement dans la gestion de la société, l’objectif de ce gérant était vraisemblablement de permettre à la société U-Web de poursuivre le procès qui l’opposait à des filiales de son associé majoritaire et anticiper notamment la possibilité d’interjeter appel d’une décision défavorable.

Si la Cour de Cassation lui donne une seconde chance devant la Cour d’appel de renvoi, on peut s’interroger sur l’opportunité de poursuivre une telle instance : le délai du pourvoi aura très certainement dépassé le délai de recours de ce second procès. 

Enfin, la Cour de Cassation profite de cet arrêt pour rappeler qu’une ordonnance de référé ne peut être modifiée ou rapportée qu’à charge de démontrer l’existence de circonstances nouvelles (art. 488 CPC).  En effet, le demandeur avait échoué une première fois dans sa demande : il lui faut par conséquent prouver l’existence de circonstances nouvelles survenues depuis la première ordonnance de référé pour solliciter une nouvelle fois la désignation d’un mandataire ad hoc.

 

 

Auteur : Julie Jacquot

Liquidation judiciaire, bail commercial et droit de préemption du locataire

Pas de droit de préemption pour le locataire commercial en cas de vente de l’immeuble du bailleur par le liquidateur judiciaire

 

La loi Pinel du 18 juin 2014 a instauré un droit de préemption/droit de préférence en faveur du locataire exploitant son activité dans un local commercial mis en vente par son propriétaire. (article L145-46-1 du code de commerce)

Ainsi, lorsqu’il envisage de vendre son bien, le bailleur est tenu d’en informer son locataire commercial afin que ce dernier puisse se porter acquéreur aux prix et conditions que le bailleur lui aura notifiés.

L’arrêt commenté (chambre commerciale de la Cour de Cassation du 23 mars 2022 -pourvoi n° 20-19174), nous rappelle toutefois que ce droit de préemption ne s’applique pas dans le cadre de la vente de gré à gré organisée par le liquidateur judiciaire du bailleur.

Au visa des dispositions de l’article L642-18 du code de commerce, la Cour de Cassation rappelle en effet  que « la vente de gré à gré d’un actif immobilier dépendant d’une liquidation judiciaire est une vente faite d’autorité de justice ».

Ne s’agissant pas d’une vente de droit commun, c’est-à-dire dépendant de la seule volonté des parties, elle écarte les dispositions relatives au droit de préemption du locataire commercial.

De ce fait, elle retire au locataire commercial la possibilité de former un recours contre l’ordonnance du juge-commissaire dont l’ordonnance constatait notamment son impossibilité à préempter à la vente.

En effet,  le recours contre une ordonnance du juge-commissaire rendue en application de l’article L642-18 du Code de commerce, qui doit être formé devant la cour d'appel, n'est ouvert qu'aux tiers dont les droits et obligations sont affectés par la décision.

Au cas présent, l’ordonnance du juge-commissaire n’avait pas affecté les droits du locataire puisqu’il n’avait pas de droit de préemption. 

La Cour de Cassation casse ainsi l’arrêt d’appel qui avait admis la recevabilité du recours formé par le locataire commercial et, statuant au fond, déclare ce recours irrecevable.

Cet arrêt, publié au bulletin, a le mérite de rappeler la nature de la vente faite de gré à gré sous l’égide d’une liquidation judiciaire, ainsi que ses conséquences à l’égard du locataire commercial.

 

 

Auteur : Julie Jacquot