Les droits de la défense des étrangers et le formulaire des droits du gardé à vue

En septembre 2015, M. S , de nationalité Indienne, a été interpellé à son domicile et placé en garde à vue, dans le cadre d’une enquête ouverte par la JIRS de Bordeaux (Juridiction inter-régionales spécialisée) pour des chefs d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d’étrangers en France en bande organisée et d’association de malfaiteurs.

Avant son interrogatoire de première comparution, M. S a été placé pendant 3 jours en garde à vue. Il a été assisté d’un interprète mais n’a jamais demandé d’avocat.

Ce n’est que lors de son placement en détention provisoire qu’un avocat a pu lui expliquer le régime procédural qui lui avait été appliqué et les accusations portées contre lui. Il réalisait alors la gravité de sa situation.

M. S n’avait jamais pris la mesure de son arrestation et faute d’avoir compris la portée de ses droits n’a pas exigé l’assistance d’un avocat.

Si, à la lecture des procès-verbaux de placement en garde à vue et de prolongation, ses droits lui ont bien été notifiés en revanche le formulaire prévu par l’article 803-6 du code de procédure pénale ne lui a pas été remis.

L’urgence ne pouvait justifier une telle absence, car les conversations téléphoniques de M. S étaient enregistrées et transcrites depuis plusieurs mois. Un interprète avait déjà été requis pour effectuer ce travail. Il aurait donc pu également traduite le formulaire des droits en PUNJABI, langue du gardé à vue.

L’article 803-6 du code de procédure pénale, prévoit qu’un document énonçant, dans des termes simples et accessibles et dans une langue qu'elle comprend, les droits suivants, dont elle bénéficie au cours de la procédure en application du présent code 
( …)
La personne est autorisée à conserver ce document pendant toute la durée de sa privation de liberté. 
Si le document n'est pas disponible dans une langue comprise par la personne, celle-ci est informée oralement des droits prévus au présent article dans une langue qu'elle comprend. L'information donnée est mentionnée sur un procès-verbal. Une version du document dans une langue qu'elle comprend est ensuite remise à la personne sans retard.



Ce texte est issu de la loi n°2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de l’article 4 la directive  2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.

C’était une avancée récente en matière de protection des droits des mis en cause non francophone.

C’est pourquoi, M. S. adressait à la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de BORDEAUX une requête en annulation de la mesure de garde à vue.

M. S avait alors formé un pourvoi contre l’arrêt par lequel la Chambre de l’instruction avait rejeté cette requête.

La Chambre criminelle de la Cour de Cassation rendait son arrêt le 7 février 2017 (n° 16-85187), et par celui-ci, vidait de son sens cet article puisqu’elle juge que : 

«  la chambre de l’instruction a justifié sa décision dès lors que l'intéressé, qui a bénéficié, par le truchement d'un interprète, de l'information de l'intégralité de ses droits mentionnés à l'article 63-1 du code de procédure pénale aux différentes étapes de sa garde à vue et renoncé de manière non équivoque à l’assistance d’un avocat, ne démontre aucun grief résultant du défaut de remise du document prévu par l’article 803-6 de ce code dans le temps de la mesure »


L’absence de remise du formulaire n’est pas érigée au niveau de l’absence de notification des droits. La non remise du formulaire n’entraine la nullité que si un grief est prouvé.

Le grief est écarté car M. S aurait renoncé de manière non équivoque à l’assistance d’un avocat, bien qu’il en ait été privé pendant toute la durée de la garde à vue. En effet, M. S avait signé de nombreux documents, et de très nombreuses pages, dont des formulaires pré-remplis dans lesquels les policiers cochent les cases correspondant aux réponses. La case « je ne souhaite pas bénéficier de l’assistance d’un avocat » avait été cochée par le policier et M. S a signé le PV. La notification des droits avait été faite à 06h15 lorsque les policiers ont pénétré au domicile familial et l’ont sorti du lit …

Cette position est regrettable car la remise d’un tel document est très simple et permet au mis en cause,  étranger et très certainement de culture juridique différente, de lire ses droits « noir sur blanc », d’en saisir la véritable portée et le cas échéant de demander à en bénéficier.

Par ailleurs, ni la directive européenne, ni l’article 806-3 du Code de procédure pénale ne prévoit d’alternative entre traduction orale des droits et remise d’un formulaire.

La remise du formulaire est une obligation formelle, pourquoi en diminuer la portée ? 

Avec cette décision, la Chambre Criminelle vient imposer à l’avocat et son client gardé à vue, la démonstration d’un grief du fait du manquement manifeste de la procédure protectrice des droits du gardé à vue, validant ainsi des procédures entachées de nullité.

Cette jurisprudence risque également d’avoir une conséquence regrettable pour les nombreux étrangers en situation irrégulière placé en rétention administrative pour lesquels l’absence de remise de ce document ne fera plus grief.

 

Auteur : Nicolas Michelot
Cet article n'engage que son auteur.